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Bénin (s04e17)

Bienvenue au Bénin, le premier pays d’Afrique de notre tour du monde !

Ethnicité et multiculturalisme au Bénin

Le Nord et le sud du Bénin correspondent à des aires historiques de peuplement différentes, qui se retrouvent dans la répartition géographique des ethnies qui composent le pays. En effet, le Bénin est multiculturel, et recense une cinquantaine de langues parlées sur son territoire. Elles correspondent en partie aux territoires des différentes ethnies : les fon, surtout présents au sud, les adja, dans le Mono et le Couffo, les yoruba dans les Collines et le Plateau, et les bariba, les batammariba, les yoms et les peulhs qui vivent plutôt dans le nord. Cette richesse représente un véritable défi en terme d’unification culturelle. Nous avons eu la chance d’être hébergés durant notre séjour à Porto Novo par Noureini Tidjani-Serpos, l’ancien responsable du département Afrique de l’UNESCO, et proche conseiller du ministère de la Culture au Bénin depuis des années. Il a crée « Radio bénin culture » dans le but de fédérer son pays autour d’un patrimoine commun : « Vous vous trouvez dans un pays où il y a beaucoup d’ethnies, des gens qui ne parlent pas la même langue, des royaumes qui étaient en guerre. Maintenant qu’il n’y a qu’un seul état il faut faire fondre ces morceaux en un, faire en sorte que le « nous » prenne le dessus sur ce qui divise. C’est ça pour moi la culture : que chaque groupe apporte ce qu’il a et que ça apporte une richesse unique. Apporter ses richesses au rendez-vous du donner et du recevoir de la nation. Voilà pourquoi la culture c’était un élément clef » nous a-t-il partagé quand nous avons pu l’interroger.

Ce multiculturalisme qui caractérise la nation béninoise pose aussi une question politique. En effet, l’origine ethnique est aujourd’hui au cœur des instrumentalisations politiques et des discours démagogiques qui divisent le pays. La plupart des candidats à une élection utilisent leur hérédité pour justifier leur légitimité, en parlant de leur ethnie ou de celle de leurs parents. C’est en partie ce qui empêche le consensus politique ou la représentation nationale. En conséquence de la séparation géographique des différentes ethnies, une grande partie de la population béninoise a un rapport très localisé à la politique, ou encore à la justice. Cela entraîne certaines dérives, comme par exemple la vindicte populaire. C’est un fléau qui parcourt tout le pays, et en particulier les zones rurales : des tribunaux populaires tranchent localement certaines affaires, et la peine de mort est souvent appliquée sans que l’accusé ne soit passé devant la justice nationale. En 2018, Amnesty International a organisé un colloque sur la lutte contre la vindicte populaire au Bénin. Le coordonnateur de la mission « peine de mort et actions urgentes » de l’ONG a donc choisi d’organiser une table ronde réunissant plusieurs acteurs publics, associatifs, ainsi que des dignitaires de différentes religions du Bénin. Leur présence était essentielle pour permettre de diffuser un message commun de condamnation de la vindicte populaire, et utiliser leur grande influence sur les citoyens béninois pour les sensibiliser.

Colonisation, décolonisation et identité culturelle

Les chefferies traditionnelles du Bénin se sont structurées en royaumes à partir du XVème siècle. L’héritage de ces royaumes se cristallise dans trois aires culturelles toujours perceptibles dans le pays : Bariba au nord, Yoruba et Aja-Ewé au sud. La structure sociale du pays change de manière drastique dès 1868, lorsque la région de Cotonou est cédée à la France suite à la signature d’un traité de protectorat. En 1899, la colonie du Dahomey intègre l’Afrique Occidentale Française et rejoint donc l’empire colonial. Cette situation a perduré jusqu’à l’indépendance du pays en 1960. Pourtant, les effets négatifs de la colonisation ont perduré et structurent encore les rapports sociaux aujourd’hui. Nous avons été très marqués par l’influence française qui se fait sentir dans les domaines politiques, publicitaires, académiques… Nous avons rencontré un professeur d’histoire, à qui nous avons posé des questions sur les programmes scolaires et l’enseignement de la colonisation. Nous avons été surpris d’apprendre que les élèves et étudiants béninois travaillent encore sur « les aspects positifs de la colonisation ». C’est une formulation qui a aujourd’hui été interdite dans les écoles de France, qui n’a aucune réalité puisque la colonisation est un processus violent de domination qui s’accompagne de crimes inacceptables. Elle ne peut et ne doit pas être légitimée. Si ce travail de reconnaissance avance déjà trop lentement en France sous de nombreux aspects, nous avons vraiment été bouleversés de voir à quel point la conscientisation du préjudice subi est plus lente au Bénin. La France est un argument de vente dans les publicités, les programmes télévisés. Elle est partout présentée comme une sorte d’eldorado occidental, et le développement est perçu comme la réponse à tous les défis sociaux. Il n’est donc pas étonnant de voir des jeunes rêver d’une vie meilleure là bas et prendre la route dans des conditions catastrophiques pour espérer s’y installer. Il y a un énorme travail de sensibilisation à faire sur cette question, et nous avons rencontré le responsable de la communauté chrétienne de Sant’Egidio de Cotonou qui y travaille depuis quelques années. En 2018, il a organisé un colloque d’une journée avec les responsables de toutes les religions majoritaires du Bénin, chrétiens, musulmans, et animistes, pour les former sur l’éducation de leurs fidèles, et en particulier des jeunes, à l’idée que rien ne vaut de traverser la Méditerranée sur un canot ou dans la soute d’un avion.

Le rapport particulier entretenu par la société béninoise avec son histoire explique aussi en partie les difficultés identitaires auxquelles elle fait face. Le grand combat de Noureini Tijani Serpos, c’est de faire prendre conscience à l’Afrique de l’Ouest de la valeur de son art, lui permettre d’être fière de son identité culturelle. D’après lui, on a tellement expliqué aux béninois C’est en partie pour cette raison que Noureini préside aujourd’hui le comité qui demande la restitution des œuvres que la France s’est appropriées au Bénin lors de la colonisation, et qui sont depuis exposées dans de nombreux musées parisiens et provinciaux. Il nous a véritablement ouvert les yeux sur la violence que cela représente, ainsi que sur un aspect passionnant du patrimoine béninois : le lien très fort qu’il tisse entre le culturel et le cultuel. Les œuvres sont exposées en France pour leur beauté artistique, mais Noureini nous apprend que son peuple n’avait même pas conscience de cette valeur auparavant. Lorsqu’il regarde un masque, il ne le trouve pas « beau », parce qu’il y voit avant tout ses ancêtres, un lien indéfectible avec les divinités naturelles qui incarnent l’être suprême sur terre, des âmes chargées de veiller sur lui et de le conseiller. Cet aspect cultuel est vidé de sa substance quand l’œuvre est exposée avec nos standards occidentaux, préservée dans une cage en verre, visible dans une salle remplie de touristes. Noureini souhaite les rendre accessibles dans un musée béninois, avec une médiation permettant à ceux qui n’ont pas conscience de l’aura cultuelle de ces œuvres de s’en imprégner. Il souhaite qu’elles puissent voyager, être prêtées à des musées étrangers, circuler, mais toujours selon les termes du Bénin car elles lui appartiennent.

Lutter contre la pauvreté et la vulnérabilité

Après la colonisation, le Bénin est entré dans une période d’instabilité politique pendant laquelle les anciennes élites coloniales se sont violemment disputées le pouvoir. En six ans, quatre coups d’état et six régimes militaires se sont succédés. En 1972, un coup d’état militaire mené par Mathieu Kérékou a de nouveau renversé le pouvoir : influencé par les jeunes militaires ayant connu mai 68 en France, il a imposé le marxisme-léninisme comme idéologie officielle de l’État. Son régime a entraîné une crise économique majeure, qui a mené le Fond Monétaire International à imposer de fortes mesures à la fin des années 80. Les difficultés socioéconomiques et leurs corollaires de grèves, politiques d’austérités, émeutes ont eu raison du modèle marxiste-léniniste, et en 1990, une « Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation » a été organisée pour ouvrir la voie vers une transition démocratique au Bénin. Elle a réuni près de 500 participants de toutes les couches socioprofessionnelles, de sensibilités politiques diverses, pour poser les bases d’une nouvelle constitution séparant les pouvoirs et garantissant les libertés fondamentales. Lors de notre séjour à Cotonou, nous avons eu la chance d’assister à un colloque organisé pour l’anniversaire des 30 ans de cette conférence, qui nous a permis de mesurer l’impact historique qu’elle a eue sur la vie politique du pays.

Pour autant, une grande partie de la population béninoise reste aujourd’hui largement en dessous du seuil de pauvreté, et le taux d’alphabétisation avoisine les 40%. Le travail des enfants est un problème de taille, puisqu’il concerne plus de 70% des jeunes de 7 à 14 ans. Cette situation a un impact sur la construction de la paix au Bénin, menacée par l’extrémisme religieux et la présence de Boko Haram dans le Nigéria voisin. Consciente que la paix n’est pas atteignable dans un pays où les besoins les plus élémentaires des populations ne sont pas assouvis, et que la vulnérabilité mène souvent à la violence, la Communauté Sant’Egidio a crée les « écoles de la paix ». Elles permettent à la communauté de recueillir des enfants de rue, ou des enfants déscolarisés, généralement à l’âge de l’école primaire, dans les quartiers les plus vulnérables de la ville. Le seul critère de sélection est la vulnérabilité, il y a donc des enfants de différentes religions dans ces « écoles de la paix », en particulier dans le nord du Bénin où les communautés musulmanes sont plus représentées. Ces écoles se tiennent dans des bâtiments « neutres », qui ne sont pas des paroisses, pour que les parents des enfants musulmans ou des religions endogènes soient plus à l’aise. Les écoles de la paix vont au delà des objectifs publics de scolarisation, elles travaillent avec leurs élèves sur l’éducation à la paix et à la non-violence.

Diversité religieuse et religions endogènes au Bénin

Le Bénin est un pays particulièrement divers sur le plan religieux. Il abrite environ 27% de musulmans et 25% de catholiques, ainsi que de multiples autres églises chrétiennes. Les pratiquants du vaudou et des religions endogènes occupent une place particulière, car ils associent souvent ces pratiques à celles d’autres religions. Nous avons eu l’occasion de rencontrer durant notre séjour des animistes mais aussi des pratiquants du vaudou qui se disaient chrétiens ou musulmans. Il a été passionnant pour nous de discuter avec eux pour essayer de comprendre dans quelle mesure ces croyances et pratiques étaient compatibles, et si le syncrétisme était inévitable. Nous avons eu le sentiment d’un grand respect pour les croyances religieuses de chacun. Au quotidien, les béninois vivent ensemble quelle que soit leur religion, et les mariages mixtes sont une réalité très courante. D’après Noureini Tidjani-Serpos, cette habitude de vivre-ensemble provient des racines vaudous de la société béninoise. En effet, dans une même famille, chacun est traditionnellement le fidèle d’un dieu différent : « Dans le vaudou, vous êtes un fidèle du Dieu du tonnerre, votre femme elle est fidèle du dieu du fer. Lors de la fête du dieu du fer que votre épouse va vouloir célébrer, vous allez contribuer à célébrer avec elle. Quand ce sera votre tour, si vous êtes fidèle de tel autre dieu, elle aussi elle doit vous épauler. Quand il y a les tamtams, les danses, elle ne va pas dire « je ne vais pas aider mon marie à célébrer son dieu », non. Il y a de manière naturelle, une manière d’être et de faire qui est quelque chose d’essentiel. » nous a-t-il raconté. C’est ce savoir-être qui permet aujourd’hui aux béninois chrétiens et musulmans de continuer à pratiquer le vaudou, ou encore de cohabiter sans tension.

Lors de notre séjour, nous avons également eu la chance de rencontrer David Koffi Aza, le président du conseil des cultes endogènes du Bénin. Pendant plus d’une heure, il a pris le temps de nous faire découvrir les religions endogènes sous un prisme totalement nouveau pour nous. Loin de la sorcellerie et des pratiques obscures que l’on associe souvent au vaudou, il nous a parlé de l’ancienneté de la pratique divinatoire du fa (qui provient de l’Egypte antique !) et des croyances associées. Nous avons aussi découvert que la coexistence pacifique entre les religions qui nous avait été majoritairement présentée depuis notre arrivée au Bénin méritait d’être nuancée à la lumière de l’histoire des discriminations envers les pratiquants du vaudou. David Koffi Aza nous a parlé des persécutions subies depuis des décennies, notamment de la part des missionnaires chrétiens et musulmans, qui ont brûlé et pourchassé les communautés endogènes. Aujourd’hui encore, beaucoup de préjugés circulent sur leurs pratiques, ils souffrent d’un certain nombre de discriminations à l’embauche ou sur la base de leurs tenues vestimentaires, et ils ont peu de représentation politique. David Koffi Aza l’explique par le fait que la plupart de ces pratiquants sont analphabètes, et peinent donc à être pris au sérieux. Le mode de résistance qu’il prône est l’éducation supérieure : il souhaite encourager les pratiquants de vaudou à obtenir des doctorats dans de multiples domaines pour leur permettre d’infiltrer à l’avenir les sphères politiques, académiques et religieuses. Malgré tout, leur représentation politique a quelque peu évolué ces dernières décennies : ils sont invités aux principaux évènements et aux cérémonies nationales, et disposent d’un jour férié pour la fête des religions endogènes, le 10 janvier.

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À peine arrivés à Porto Novo, nous avons reçu beaucoup de messages pour nous dire « Profitez de l’Afrique », « Vous avez de la chance d’être en Afrique », « l’Afrique, ça va être une sacrée expérience ». Personne ne nous a parlé du continent sur lequel nous nous trouvions, à aucune autre étape du voyage. Pas de « Bonne découverte de l’Amérique » lorsque nous sommes arrivés au Texas…. Malheureusement nous conscientisons une fois de plus la méconnaissance qui existe des différences culturelles, historiques et politiques entre les différents pays africains. Nous ressortons enrichis de notre expérience béninoise, avec le sentiment de pouvoir parler de ce qui fait la spécificité de ce pays, sa richesse culturelle et religieuse, et son identité particulière. Nous avons touché du doigt ce qui le différencie de ses voisins autant que ce qui l’inscrit dans la région dans laquelle il se trouve. Pour nous, le Bénin aujourd’hui ce n’est pas « l’Afrique » mais Rachel et Noureini, Jules, Noël, David, et tous les autres, leurs histoires, leurs parcours et leurs espoirs politiques.

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