Rapports paysSaison 5

France, Nouvelle Calédonie [s05e13]

Partie I : le contexte

La diversité de convictions en Nouvelle Calédonie : 

Il est difficile de trouver des chiffres fiables sur la diversité religieuse de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, la religion joue un rôle important dans la société calédonienne. Près de 50% des habitant·es sont catholiques et 30% protestant·es. Les 20% restants sont athées, agnostiques ou appartiennent à une autre religion.  On dénombre aussi des musulman·es, des mormon·es, des bouddhistes, des bahá’í·es, des adventistes du septième jour, des témoins de Jéhovah et quelques juifs et juives.

Pour être plus précis dans les statistiques, il faut tout d’abord différencier les pratiques religieuses entre les Kanak, les “Caldoches” et les “Zoreilles”. Les Kanak sont les descendant·es des peuples premiers présents sur l’île avant la colonisation. Les “Caldoches”, descendant·es des colons arrivés au début de l’ère coloniale en grande majorité  comme  prisonnier·es. Les “Zoreilles” sont les personnes arrivées nouvellement de métropole.

Le christianisme s’est implanté en Nouvelle-Calédonie par le biais des missions évangélisatrices pour les peuples premiers.  Les Kanak sont 50% protestant·es et 50% catholiques. Les “Caldoches” et “Zoreilles” sont majoritairement catholiques. 

L’Église catholique, même si elle reste majoritaire, perd du terrain au profit des protestant·es et évangéliques. Il existe deux principales Églises protestantes en Nouvelle-Calédonie : l’Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie (ÉPKNC), restée liée aux institutions missionnaires protestantes françaises, membre de l’Alliance réformée mondiale. l’Église évangélique libre de la Nouvelle-Calédonie (ÉÉLNC). S’y ajoutent des membres d’autres organisations chrétiennes (Témoins de Jéhovah, Mormons, Adventistes du septième jour). On assiste aujourd’hui, d’après le chercheur Raphaël Liogier, à une grande augmentation des fidèles néo-évangéliques comme les églises pentecôtistes et les Assemblées de Dieu.

Chez les Kanak, bien que beaucoup soient chrétien·nes, ils et elles conservent des rites, coutumes et croyances kanak. Les croyances ancestrales, les totems et certains tabous jouent un rôle très important dans le quotidien des populations locales. Le respect des coutumes est absolument primordial et régit le calendrier des populations kanak. Le christianisme local s’est progressivement mêlé à des rites, croyances et  pratiques coutumières et les spiritualités locales se sont aussi transformées à travers l’influence grandissante du christianisme. 

Toutes ces règles kanak  très importantes sont surtout appliquées au cours des cérémonies principales de la vie comme les naissances, les mariages et les décès. À ces occasions, ces coutumes traditionnelles se mélangent aux religions plus classiques. Ainsi avant de rencontrer une personne kanak, il est important de faire la “coutume du bonjour”, apporter un morceau de tissu, un peu d’argent et du tabac. Cette coutume permet de prendre la parole dans un espace qui ne nous appartient pas.  

Il y a environ 3 000 musulman·es en Calédonie. Les fidèles de Nouvelle-Calédonie sont majoritairement de confession sunnite. La communauté indonésienne représente 80% des fidèles. Les 20% restants viennent de différentes communautés. On pense notamment aux descendant·es de déportés d’Algérie qui vivent souvent dans la région de  Bourail et qui continuent à perpétuer la mémoire et la tradition des bagnards algériens déportés au XIXe siècle. Leurs descendantes tiennent à marquer leur appartenance à l’Islam et leurs racines algériennes. La mosquée de Nessadiou est le lieu où se retrouvent les fidèles pour prier et rompre le jeûne durant le ramadan.

L’interconvictionnel et la paix en Nouvelle Calédonie : 

La construction de la paix est intimement liée aux événements de 1984 à 1988, ces événements sont même considérés comme une guerre civile en Nouvelle-Calédonie. Elle a coûté la vie à 90 personnes.

Pour bien comprendre les événements de 1984 à 1988, il faut connaître l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie. La Nouvelle-Calédonie est une colonie française depuis 1853. Avant l’arrivée des colons, les Kanak vivent sur ces terres et en sont peu à peu expulsé·es pour être cantonné·es dans des réserves. Ces peuples autochtones sont sous le code de l’indigénat depuis 1887, c’est-à-dire que les Kanak ne sont pas des citoyen·nes français·es mais des sujets. Ils et elles n’obtiennent le droit de vote qu’en 1946 et la totalité de leurs droits fondamentaux seulement en 1957. 

Les Kanak se sont déjà révolté·es contre le régime colonial en 1887 avec le chef Ataï et en 1917 à la suite de l’appel aux tirailleurs pour que les Kanak participent à la Première Guerre mondiale alors qu’ils et elles n’ont aucun droit comme citoyen·nes. Les descendant·es de colons sont appelé·es “les Caldoches”, un terme qui peut être perçu comme péjoratif. Quelques un·es sont arrivé·es de leur plein gré en tant que colons libres mais la grande majorité a été envoyée en Calédonie en tant que prisonnier·e. Les personnes qui viennent d’arriver sont appelées les “Zoreilles”. 

Pendant les années 1960, les revendications nationalistes kanak apparaissent à l’émergence des mouvements décoloniaux suite à la conférence de Bandung de 1955. Certain·es Kanak, formé·es par les événements de mai 1968, reviennent petit à petit en Nouvelle-Calédonie et permettent l’émergence du mouvement indépendantiste.

Dans les années 1970, les groupes politiques sont divisés entre les indépendantistes, les loyalistes et les centristes. Les indépendantistes, dont l’un des plus connus est Jean-Marie Tjibaou, veulent une Kanaky libre et déposent les statuts du pays auprès de l’ONU. Ce sont majoritairement des Kanak qui font partie du mouvement indépendantiste. Les loyalistes, avec comme leader Jacques Lafleur, veulent rester en Calédonie française. Ils et elles sont plutôt des Caldoches. Les centristes représentent un mouvement qui change suivant la période pour une indépendance-association ou pour une autonomie du territoire sans indépendance totale.

Le climat de tensions est très fort à la fin des années 70 entre ces trois courants, et c’est dans ce contexte que les violence commencent en 1981. Pierre Declercq, partisan de l’indépendance, est assassiné en 1981. Les barrages et les manifestations se développent. Le mouvement centriste change alors de camp et affirme qu’il est pour l’indépendance. Les loyalistes descendent alors eux aussi dans la rue. 

Les violences s’accélèrent en 1983. Deux gendarmes sont tués et les négociations reprennent entre le gouvernement français et les indépendantistes. Une proposition de référendum voit alors le jour mais les négociations sont compliquées et la question “qui peut voter et pourquoi” devient centrale. De nouveaux statuts sont rédigés mais les indépendantistes insatisfaits appellent à boycotter les élections territoriales de 1984. Ce changement de stratégie du camp indépendantiste marque le début de 4 années de conflits appelé « Les Événements » qui peuvent être découpés en trois périodes. 

Une première de 1984 à 1986, où  des affrontements camp contre camp aboutissent à un premier compromis avec le statut Fabius-Pisani. La deuxième phase, correspond à un  durcissement de la politique du gouvernement français contre les indépendantistes qui cherchent alors des soutiens sur la scène internationale de 1986 à 1988. À partir du début de l’année 1987, l’État met en effet en place une surveillance militaire des tribus, dite « nomadisation », par patrouilles continues d’unités mobiles. Le référendum de 1987 est boycotté par les Kanak. Immédiatement après ce scrutin, très largement en faveur de l’intégration à la France du fait du boycott, Jacques Chirac affirme qu’il veut l’autonomie de ce territoire. La tension remonte et les indépendantistes refusent de participer aux futures institutions. En 1987, Jean-Marie Tjibaou dépose à l’ONU un projet de Constitution pour un futur État indépendant, la Kanaky. Les tensions liées à la nomadisation et à l’autonomie créent un retour des violences. 

La 3e phase correspond à l’apogée de la violence en 1988. La prise d’otage d’Ouvéa est peut-être l’évènement le plus connu de cette période : les indépendantistes attaquent la gendarmerie de Fayaoué sur l’île d’Ouvéa : 4 gendarmes sont tués, 27 sont pris en otages. Des incidents ont lieu le même jour sur tout le territoire, notamment à Canala, isolé par l’armée qui incendie plusieurs cases. Les indépendantistes donnent trois conditions à la libération des otages : l’annulation des élections régionales, le retrait des forces de l’ordre de l’île et la nomination d’un médiateur. 

Une négociation est tentée par la gendarmerie et le GIGN, permettant la libération le 25 avril des 11 otages, qui avaient été emmenés vers le Sud d’Ouvéa, en échange de 6 membres du GIGN. Pour autant, le gouvernement se prépare à une opération de force. Nous sommes alors dans d’entre-deux-tours de l’élection présidentielle entre François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac. L’« Opération Victor » a lieu le 5 mai : un commando, composé de militaires du GIGN, du 11e Choc et du commando Hubert, intervient dans la grotte de Gossanah. Les 19 militants indépendantistes qui les retenaient et  2 militaires sont tués. 

Choqués par les événements d’Ouvéa, les dirigeants des deux camps décident d’entamer des négociations. Michel Rocard, premier ministre, désigne cinq jours plus tard une mission de dialogue pour préparer des négociations en la confiant au préfet Christian Blanc. Cette mission arrive sur le territoire le 20 mai et rencontre rapidement une attitude favorable de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou, même si les deux hommes doivent faire face à des réticences parmi leurs partisans. Une première rencontre a lieu entre eux à l’Hôtel Matignon le 15 juin, donnant lieu à la « poignée de main historique » qui devient le symbole du rapprochement et de la paix retrouvée. L’Accord tripartite de Matignon (État – Loyalistes – Indépendantistes) est signé le 26 juin. Il met fin aux Événements, et prévoit un nouveau statut transitoire en attendant un référendum sur l’indépendance prévu pour 1998.

Malgré cela, cette période reste largement chargée émotionnellement au sein de la population néo-calédonienne, et a peu fait l’objet de travaux scientifiques de la part d’historien·nes. La prise d’otages d’Ouvéa reste alors l’événement le plus évoqué, et le plus polémique, à travers plusieurs livres, reportages et un film, L’Ordre et la Morale de et avec Mathieu Kassovitz, sorti en 2011. Signe de l’aspect sensible de ce sujet, il a été impossible de tourner le film sur les lieux du drame pour des raisons de sécurité. Il a donc été tourné en Polynésie française, avec le soutien des autorités politiques locales. Le film n’est pas diffusé en Nouvelle-Calédonie au moment de sa sortie en salle. Le seul exploitant sur l’île l’a refusé au motif que l’œuvre de Kassovitz serait « très caricaturale et polémique » accusant le film de « rouvrir des plaies cicatrisées ».

En revanche, les accords ont fait l’objet de nombreuses actions mémorielles. Elle a largement contribué à créer une aura particulière autour de ses deux signataires principaux, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. Le premier en a largement bénéficié pour s’imposer comme l’homme fort de l’archipel jusqu’en 2004, date de sa première défaite électorale, tandis que le second a donné son nom au Centre culturel monumental inauguré en 1998 à Nouméa pour valoriser la culture kanak. Les deux hommes de la « poignée de main » ont reçu la « Colombe de la Paix », prix décerné chaque année depuis 2008 par l’Allemagne soutenue par l’UNESCO.

Dates clés :

  • 1853 : Début de la colonisation française
  • 1887 : Première révolte Kanak dirigé par le chef Ataï
  • 1984 – 1988 : Événements et la tuerie d’Ouvéa
  • 1988 : Accords de paix de Matignon
  • 1998 : Accords de paix de Nouméa
  • 2017 : Création du comité des sages

Partie II : l’étude InterFaith Tour

InterFaith Tour 

  • 2 villes étudiées (Nouméa, Bourail)
  • Saison 5, 07/2022 : 7 entretiens avec 12 personnes (7 femmes et 5 hommes)
  • 1 organisation interconvictionnelle
  • 5 bonnes pratiques recensées 

Les entretiens réalisés :

  • Gérard Sarda, Elie Poigoune, Annie – 08/07/2022
  • Madeleine Ounou, Boniface Ounou, Florenda, Iris – 11/07/2022
  • Roch Apikaoua – 12/07/2022
  • Jessica Marengo – 13/07/2022
  • Isabelle de Haas, Maja Sawaza – 15/07/2022
  • Jean-Pierre Taïeb Aïfa – 18/07/2022
  • Mario Bouearan – 19/07/2022

Nos découvertes et apprentissages : 

L’étude de la France par le programme InterFaith Tour s’était concentrée sur la France hexagonale et la Réunion jusqu’à la saison 5. La Nouvelle Calédonie est donc la première collectivité d’Outre-mer autonome étudiée par le programme mais est aussi le premier territoire français qui connaît un véritable processus de paix et de décolonisation encore d’actualité. Nous souhaitions alors comprendre quel était le rôle des religions et des initiatives interconvictionnelles dans ce contexte.

Nous avons d’abord observé l’utilisation systématique de l’outil interconvictionnel dans les médiations de conflits et de violences ayant un rapport ou non avec le fait religieux. Lors de conflits entre communautés, des conflits d’ordre social, économique ou autre, les lieux d’apaisement sont souvent les églises. Ainsi, les responsables religieux y passent des messages et poussent leur communauté à la résolution. Le père Roch Apikaoua est, dès son ordination en 1885, formé à la médiation de conflits. S’il est reconnu comme un expert du sujet en Nouvelle Calédonie, il considère que sa pertinence vient du fait qu’il connaît parfaitement le terrain du conflit, qu’autrement, ça ne pourrait pas aussi bien fonctionner.

L’outil interconvictionnel est aussi sollicité par la société civile et le monde politique pour accompagner les grands changements en Nouvelle Calédonie et éviter l’émergence de racisme et d’amalgames. Par exemple, le conseil des sages a été créé pour accompagner le processus de paix et regroupe des représentant·es de toutes les religions et des organisations importantes de la société civile. Au sein de ce conseil des sages, on retrouve Jean-Pierre Taïeb Aïfa, représentant de la communauté musulmane de Bourail. Ce conseil est aussi une opportunité pour cette communauté minoritaire en Nouvelle Calédonie d’être reconnue et de s’engager dans la construction de la cohésion sociale des îles.

Les organisations interconvictionnelles : 

  • Comité des sages

Les bonnes pratiques recensées : 

  1. Groupe interconvictionnel
  2. Tribunes interreligieuses
  3. Médiations interreligieuses
  4. Cours de spirit 
  5. Célébration de la fête de l’Igname
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