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Kosovo [s04e03]

Bienvenue au Kosovo, la dernière étape de notre passage dans les Balkans ! 

C’est un pays à l’histoire très particulière, dont l’indépendance n’est aujourd’hui reconnue que par 100 pays dans le monde. Pour expliquer ce qui divise la communauté internationale à son propos et les conséquences de cette situation sur la société kosovare, il faut tenter de comprendre les grandes lignes de son histoire contemporaine. 

Guerre d’indépendance, conflit de reconnaissance

La province du Kosovo jouissait d’un statut particulier au sein de la Yougoslavie, qui lui procurait une certaine autonomie. En 1989, le gouvernement serbe de Slobodan Milošević décide de mettre fin à ce statut, ce qui déclenche un grand mouvement de révolte des Albanais : Ibrahim Rugova, surnommé “le Gandhi des Balkans”, tente de parlementer sans violence avec Milošević pour obtenir l’indépendance de la province, en vain. Les forces serbes prennent le contrôle du territoire. Un régime discriminatoire à l’encontre des Albanais est mis en place : ils sont écartés de tous les postes de pouvoir, doivent prêter allégeance à la Serbie, et l’usage de leur langue est interdit, notamment à l’école. Les 80% d’Albanais de la population sont persécutés, privés de leur droit à l’éducation pendant plus de 10 ans, doivent fuir leurs emplois et leurs maisons. L’Armée de Libération du Kosovo (UÇK) organise la résistance et mène plusieurs attentats contre les forces serbes. En 1999, l’OTAN s’engage à ses côtés pour faire plier la Serbie, et bombarde le territoire pendant 9 semaines avant d’aboutir à un accord de paix. 

Nous avons passé une partie de notre séjour au Kosovo avec Philippe, qui travaille à la mission des Nations Unies, et qui est arrivé dans le pays en 1999. Il nous a parlé du chaos qui régnait à l’époque ; comme les Serbes occupaient tous les postes décisionnaires et la plupart des emplois du service public, leur départ a totalement déstabilisé la situation politique, économique, et sociale du pays : plus d’hôpitaux, plus d’écoles, plus de monnaie, plus de police, plus d’électricité, plus d’administration, etc. La communauté internationale, et en particulier les Nations Unies, a été confrontée à un défi d’ampleur qu’elle n’avait pas prévu : il fallait reconstruire l’intégralité des institutions nationales, à partir de rien. Philippe était à l’époque chargé d’une tâche essentielle : aller payer les salaires des quelques employés du service public qui restaient encore, aux quatre coins du Kosovo, avec des liquidités puisqu’il n’y avait plus de banques, et sans traducteur. Le Kosovo a été placé sous protectorat international pendant près de 10 ans après la guerre, et n’a proclamé son indépendance qu’en 2008. Pour les nombreux Etats qui ne le reconnaissent pas, le pays est toujours considéré comme étant une province autonome sous la supervision de l’ONU : c’est ce qui explique que la mission des Nations Unies soit toujours aussi présente, “et vouée à rester encore un bon moment” d’après Philippe.

Identité kosovare et influences internationales

Le Kosovo est encore largement occupé par des institutions internationales : la Mission des Nations Unies (UNMIK), mais aussi l’Union européenne au Kosovo (EULEX), les Forces pour le Kosovo (KFOR) mises en place par l’OTAN, ou encore l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Nous avons mis un peu de temps à nous habituer à tous ces acronymes, mais on ne peut pas les rater dans les rues de Pristina : on croise partout les forces de la KFOR en uniforme, les voitures de l’EULEX ou les immeubles aux couleurs de l’OSCE. C’est vraiment étonnant quand on n’est pas habitués… et encore, d’après ce qu’on nous a raconté, c’est largement atténué par rapport à ce que c’était il y a quelques années ! C’est la communauté internationale qui a élaboré le drapeau du Kosovo (une carte du pays sur un fond bleu qui rappelle l’UE, et six étoiles blanches qui représentent les principales communautés ethniques du pays) et l’hymne national (sans paroles, pour ne pas avoir à choisir une langue). C’est en partie ce qui explique la difficile appropriation de ces symboles nationaux par la population : le temps de notre séjour, nous avons croisé énormément de drapeaux albanais, quelques drapeaux serbes, mais presque aucun drapeau kosovar. 

La difficile émergence d’une identité nationale kosovare s’explique en partie par l’influence internationale, mais pas seulement. Le Kosovo est la terre de nombreuses communautés ethniques (Albanais, Serbes, Turcs, Roms, Bosniaques, Goranis…), qui ne parlent pas la même langue et occupent des territoires séparés. En conséquence du récent conflit, la division est particulièrement sensible entre les populations albanaises (à majorité dans le pays) et les serbes (qui occupent quelques villes, en particulier au nord et au sud du pays). Selon un récent sondage mené par l’Organisation Internationale pour les Migrations, 72% des jeunes Albanais n’ont jamais rencontré un Serbe de leur vie, et 70% des jeunes Serbes n’ont jamais rencontré un Albanais. La barrière de la langue est un fort critère de séparation, la division territoriale également, mais c’est surtout le poids des mémoires concurrentes et des préjugés portés par ces communautés les unes sur les autres qui explique la situation. La division est également nourrie par l’influence des pays frontaliers, et les deux mythes de la “Grande Serbie” et la “Grande Albanie” qui s’affrontent dans l’espace public.

Vers des liens intercommunautaires ? 

Heureusement, lors de notre passage, nous avons découvert différentes organisations qui offrent des espaces de rencontre et de partage aux jeunes en quête d’altérité. C’est par exemple le cas de United Youth Task Force, un mouvement de jeunesse qui organise des événements favorisant les échanges interreligieux et interculturels autour de thématiques variées. On était émus de pouvoir discuter en même temps avec Andjela, Serbe, Dunjeta, Albanaise, et Engin, Turc, qui nous ont parlé des actions qu’ils mènent ensemble : une situation qui ne nous est pas souvent arrivée pendant notre séjour. Nous avons fait leur connaissance lors d’une soirée intitulée “Under One Sky”, qui réunissait des jeunes de communautés différentes pour prendre un cours d’astronomie et observer les planètes au télescope. 

Cette initiative n’est pas un cas isolé. Au Kosovo comme dans de nombreux contextes, il faut faire une forte distinction entre les volontés politiques et nationalistes et les ambitions portées par la société civile ou les individus. Nous avons rencontré le père orthodoxe Ilarion, qui nous a raconté comment son monastère serbe avait contribué à sauver plus de 150 Albanais musulmans pendant la guerre. Nous sommes tombés par hasard sur Faik, un Albanais qui a fait des kilomètres en voiture pour nous emmener rencontrer ce père orthodoxe, et a parlé serbe pour demander son chemin. Nous avons suivi les nouvelles du village de Štrpce/Shtërpcë, dans lequel des Serbes et des Albanais s’opposent ensemble à des projets de barrages hydrauliques, et de celui de Goraždevac, où ils s’unissent dans la lutte contre le rejet de déchets toxiques. Nous avons assisté à la répétition du chœur philharmonique du Kosovo, dans lequel on trouve des musulmans, des orthodoxes et des catholiques qui chantent ensemble dans différents lieux de cultes. En un séjour dans le pays, nous avons eu une multitude de preuves que les artistes, les activistes et les citoyens peuvent réussir à créer du lien quand les politiciens échouent, même dans des situations d’extrême division. 

Citoyenneté, ethnicité et religions au Kosovo

On retient encore une fois un rapport très complexe à la citoyenneté, à l’ethnicité et à la nationalité. La citoyenneté kosovare a encore peu de sens aujourd’hui, elle n’est pas associée à une quelconque valorisation (sauf peut être dans le sport) mais a beaucoup de limitations et de restrictions : le passeport du Kosovo est aujourd’hui le seul d’Europe à ne pas permettre de circuler librement dans l’UE, c’est une blessure profonde pour beaucoup de citoyens, et presque toutes les personnes que nous avons rencontrées nous en ont spontanément parlé. L’ethnicité est le principal critère d’appartenance dans le pays, et elle est très liée à la nationalité puisque les habitants du Kosovo se sentent à majorité membres des peuples d’autres nations, de l’Albanie, de la Serbie ou même de la Turquie. La conseillère politique de l’ambassade nous a raconté avoir mené avec différents types d’interlocuteurs des tests qui permettent de déterminer les principaux critères d’identité : même les responsables religieux se sentent “Serbes” ou “Albanais” plus qu’”orthodoxes”, “musulmans” ou “catholiques”… C’est révélateur de la hiérarchie très forte entre ces différentes catégories d’appartenance. 

Les religions ne sont pas au centre du débat public au Kosovo, elles sont présentes, variées et affirmées, mais ne sont pas une source de tension ou d’appartenance très forte pour la plupart des citoyens. L’islam est largement majoritaire, avec plus de 90% de croyants (c’est proportionnellement la plus grande communauté musulmane d’Europe). Les liens interreligieux sont très présents, notamment au sein de la population albanaise, dans laquelle on trouve à la fois des chrétiens et des musulmans : c’est d’ailleurs ce qui explique que l’avenue centrale de la capitale d’un pays à si forte majorité musulmane se nomme “Nena Terese”, du nom de Mère Teresa. 

Nous avons été marqués par la découverte d’un islam différent de celui que nous connaissons en France, plus fortement ancré dans la tradition et la culture que dans la pratique religieuse. La plupart des musulmans que nous avons rencontrés nous ont décrit leur islam comme “flexible” ; dans les restaurants, beaucoup ne savaient pas tellement ce que voulait dire “halal” ou buvaient de l’alcool, mais toujours modérément, et n’allaient souvent à la mosquée que pour la prière du vendredi. Cette pratique traditionnelle balkanique est aujourd’hui en conflit avec une autre forme d’islam, importée majoritairement d’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe après la guerre : par le financement de la formation d’imams ou de la construction de mosquées, ces Etats ont encouragé le développement d’une pratique bien plus rigoureuse de la religion. Enfin, il ne faut pas passer sous silence les mouvements de radicalisation qui touchent également le Kosovo. Cependant, si l’on entend souvent que le Kosovo est le pays d’Europe qui compte proportionnellement le plus de départs pour le djihad en Syrie, il est nécessaire de relativiser cette information : elle est juste, mais doit être rapportée à sa population d’1,8 millions d’habitants (moins qu’à Paris intra-muros), et elle concerne donc à peine 400 combattants. 

Lors de notre première journée à Pristina, la conseillère politique de l’ambassade nous a dit “Vous allez voir, vous allez tomber amoureux du Kosovo”. Ça nous a pris quelques jours, parce qu’on n’est pas immédiatement sous le charme de ce pays : il est difficile à appréhender, il est différent de ce que l’on connaît, il questionne, il perturbe parfois. Mais rapidement, on a compris ce qu’elle voulait dire. Le Kosovo nous a beaucoup émus, tous les quatre. Nous avons fait l’expérience de la solidarité et de l’hospitalité grâce à beaucoup de rencontres dues au hasard, au détour des routes. Nous avons eu la chance d’étudier de nombreux projets portés par les jeunes, de sentir la détermination qui les animait à dépasser les barrières mentales qui s’imposent à eux. Nous avons aussi pris conscience qu’ils ne sont pas en majorité aujourd’hui, et que le chemin est encore long pour que le Kosovo puisse exploiter positivement sa diversité religieuse et ethnique, mais c’est un pays jeune, dans lequel tout reste à construire. 

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