ArticlesSaison 5

L’interconvictionnel au Mexique protégé par la laïcité

“México es un país laico” est la phrase la plus entendue des entretiens, institutionnels ou non, lors de l’étude du Mexique par le programme InterFaith Tour en novembre 2021. Si la population est dans l’ensemble catholique, elle se prononce majoritairement en faveur de la laïcité. Celle-ci entre en vigueur au Mexique en premier lieu en 1859 et 1860 lorsque plusieurs lois libérales sont promulguées sous la présidence de Benito Juárez. Ces lois établissent pour la première fois la séparation de l’Église et de l’État, incorporée plus tard dans la Constitution de 1873, puis réaffirmée dans celle de 1917. Elles prévoient d’abord la suppression des privilèges judiciaires de l’Église, la nationalisation des biens du clergé, le mariage civil ou encore l’impossibilité pour l’Église d’acquérir des médias ou d’avoir une personnalité juridique. Si la liberté de pratiquer son culte est rapidement affirmée, elle n’est pas la priorité puisqu’il s’agit de faire reposer la légitimité politique sur le pouvoir du peuple et non plus sur un pouvoir religieux, principalement catholique. Ainsi, au fil des années, le Mexique renforce sa laïcité, même si la république ne devient explicitement et constitutionnellement laïque que le 1er décembre 2012.

Cette longue histoire laïque a construit les relations entre l’État et les institutions religieuses, mais également entre les communautés elles-mêmes. La laïcité est un cadre qui a été renforcé à travers le temps. Quel rôle joue ce cadre dans la construction de la cohésion sociale au Mexique ? 

À travers les différents entretiens réalisés, il s’agit de dresser un état des lieux des différentes utilisations de la laïcité, à la fois comme protection et reconnaissance des différentes convictions religieuses, mais également comme outil de construction de la paix.

  1. Tout en diminuant l’hégémonie de l’Église catholique, la laïcité permet l’existence institutionnelle de diverses convictions au Mexique

a) Une application de la laïcité conflictuelle pour l’Église catholique…

Sous la présidence de Benito Juárez, les lois laïques sont promulguées dans un contexte où l’Église catholique est considérée comme un pouvoir hégémonique au Mexique. Les premières lois des années 1850 conduisent à une rupture des relations diplomatiques entre le Vatican et le Mexique. L’archevêque de Mexico va même jusqu’à excommunier les députés qui prêtent serment à la nouvelle constitution. Le pays connaît de nouveau des conflits religieux dans la première partie du XXe siècle avec la guerre des Cristeros entre 1926 et 1929, pendant laquelle une partie de la population mexicaine, majoritairement rurale et catholique, se soulève contre le gouvernement. À Guadalajara, près de 400 habitants catholiques affrontent les troupes fédérales depuis l’église de Notre Dame de Guadalupe. Elias (entretien InterFaith Tour, novembre 2021) raconte que ces événements sont encore très présents dans les mémoires populaires et font l’objet de pèlerinages commémoratifs. Depuis la visite du pape Jean-Paul II à Puebla au Mexique, les relations entre l’Église catholique et l’État s’apaisent. Cependant, de nombreux groupes catholiques tentent encore de changer la laïcité, la voyant comme une arme contre le catholicisme. Ces communautés catholiques s’appuient également sur les conseils interreligieux pour en faire des groupes de pression afin d’affaiblir la laïcité sous couvert de défense de la liberté religieuse. 

b) … qui permet néanmoins aux autres convictions religieuses d’être reconnues institutionnellement au Mexique 

Ces conseils interreligieux naissent partout dans le Mexique à partir de 1992, lorsqu’une loi vient apporter une identité juridique aux cultes qui jusqu’alors ne possédaient pas de caractère légal. L’importance de cette date revient dans plusieurs entretiens conduits par le programme InterFaith Tour en novembre 2021. D’abord, elle permet de reconnaître la diversité religieuse, de faire exister les groupes religieux minoritaires et de déterminer des interlocuteurs pour chaque groupe religieux pour le gouvernement. Elle leur reconnaît également le droit d’associations et d’organisation pour la bonne gestion du culte et de la pratique. Une fois cette loi promulguée, les conseils interreligieux sont créés et deviennent d’importants lieux de création de liens sociaux. Depuis 1992, le conseil de Mexico se réunit par exemple toutes les semaines. Les groupes le composant s’invitent mutuellement à leurs célébrations religieuses et les fidèles ont plusieurs opportunités de se rencontrer. Les conseils interreligieux peuvent être également porteurs d’un plaidoyer commun, notamment en faveur de plus de liberté religieuse. Ainsi, 20 ans plus tard, en mars 2012, le Sénat adopte une réforme constitutionnelle qui instaure “la liberté des convictions éthiques, de conscience et de religion”. Cette réforme est le fruit d’un débat politique entre la volonté de rendre constitutionnelle la liberté religieuse et de contrecarrer la vision uniquement religieuse de la spiritualité. Le Mexique est ainsi un pays qui voit naître beaucoup de pratiques spirituelles dites “new age”, s’appuyant sur des pratiques ancestrales des peuples natifs qui attirent des touristes du monde entier en quête de spiritualité.

Les conseils interreligieux ont également permis la mise en place d’un dialogue intrareligieux. Lors de l’entretien avec le groupe bouddhiste zen de Mexico, les personnes interrogées partagent que cette loi de 1992 a permis à l’ensemble des groupes bouddhistes de se rassembler, de dialoguer et de décider de représentant·es commun·es pour la première fois. Ces conseils sont aussi un lieu où les femmes prennent des responsabilités et existent en tant que leaders religieuses, comme l’explique Amina, rencontrée en novembre 2021 dans le cadre InterFaith Tour. 

  1. La laïcité se décline en politiques publiques de construction de la paix

a) Les affaires religieuses au sein du Ministère de l’Intérieur

Si les cultes s’organisent pour dialoguer et agir ensemble, le gouvernement agit également de son côté et élargit les prérogatives de la direction des affaires religieuses. Celle-ci est d’abord chargée de l’enregistrement et de la protection juridiques des différents groupes religieux, afin qu’ils puissent bénéficier des différents droits qui en découlent. Cependant, ces prérogatives comprennent aussi d’ambitieuses politiques publiques de construction de la paix. L’entretien de Jimena, directrice régionale de la Direction générale des affaires religieuses, montre les nombreuses actions du gouvernement en la matière. Le département met en place des campagnes de promotion et de sensibilisation à la diversité religieuse. Il organise également des conférences et des séminaires sur des thématiques diverses comme le leadership des femmes dans la construction de la paix, la santé mentale ou sur la mémoire. Il propose enfin des formations pour les fonctionnaires et les acteurs religieux. La direction contribue également à l’organisation d’événements majeurs de la construction de la cohésion sociale au Mexique, comme les excuses nationales du président aux peuples natifs pour les violences subies pendant la colonisation. L’existence de cette direction démontre la volonté du gouvernement de faire de la laïcité un outil de construction de la paix et pas seulement un outil juridique.

b) Divisions interreligieuses au sein des  gouvernements locaux 

En parallèle de la direction aux affaires religieuses, il existe des départements interreligieux au sein des gouvernements des différents États mexicains. Ces départements ont une prérogative locale essentielle : la médiation entre les communautés religieuses. Si la direction ministérielle se concentre sur des événements de promotion institutionnelle, les départements gèrent les défis quotidiens d’un mieux vivre ensemble. Le département de l’État de Oaxaca a reçu l’équipe InterFaith Tour pour un entretien où les trois fonctionnaires interrogé·es ont pu décrire leurs différentes actions. La laïcité mexicaine sépare certes strictement l’État et les cultes mais l’État peut aussi se placer comme médiateur lorsque la cohésion sociale est mise à mal. Les conflits, auxquels le département est confronté, peuvent naître de conversions de certaines personnes mal acceptées dans certaines communautés. Ces dernières mènent alors à des drames familiaux importants. Ils peuvent également découler d’incompréhensions liées aux différentes langues natives parlées dans l’État de Oaxaca. Une autre difficulté est l’équilibre fragile de la gestion autonome de certains villages (400 sur 570 municipalités à Oaxaca), dont l’organisation sociale et politique, où la religion imprègne chaque volet organisationnel, est très différente de l’État fédéral. Ce département fait face à de vrais défis de moyens notamment. S’il a réussi à résoudre des dizaines de litiges dans l’État de Oaxaca, selon leurs propres dires, peu de personnes connaissent l’existence du département. Ainsi seuls les conflits très graves sont pris en main. Peu de formations sont délivrées aux fonctionnaires du département et le manque de moyens financiers empêche la déclinaison d’événements semblables à ceux de la direction générale. 

Conclusion :

La laïcité française est vue partout dans le monde comme une exception en matière de relations entre l’État et les cultes. Pourtant, elle s’est inspirée de modèles comme le Mexique qui, des années auparavant, avaient fait le pas de reprendre le pouvoir au religieux pour le donner au peuple et le rendre démocratique. Le Mexique avait décidé de faire de la laïcité un outil de rapport de force contre la domination de l’Église catholique. Aujourd’hui, il en fait un outil juridique que le pays transforme d’année en année comme un outil de construction de la paix et de renforcement de la cohésion sociale.

Bibliographie :

Abonnez-vous à notre newsletter